‘comment tu fais pour te faire plaisir ?’ 

c’est la question que je me suis posée un jour où ça n’allait pas. et que ce jour là durait déjà depuis plusieurs mois. j’ai eu beaucoup de mal à répondre. jusqu’à ce que manger et faire à manger apparaissent comme une évidence. la nourriture est pour moi une source de plaisir. de plaisirs même, tant elle peut séduire tous mes sens. elle est affaire de sensualité, c’est ce que j’aime. l’idée du goût me fascine même. qu’on puisse le créer en cuisinant. et le trouver en dégustant.

plus je m’amuse à développer cette exigence du goût, plus je m’attriste à réaliser à quel point la nourriture n’a pas été pour moi qu’une source de plaisirs. il y a eu ces privations immenses et la satisfaction de se voir réduire. il y a eu les craquages à s’en déchirer le ventre, comme de folles sorties de routes. et les sévères retours à l’ordre, lourds de culpabilité, de déception, et de tristesse. ‘il y a eu’ mais de ces boucles répétées, il reste évidemment des traces. qui ne disparaitront certainement jamais, et c’est comme ça. j’apprends à jouer avec.

 
 

la tristesse, c’est de voir tant de femmes autour de moi reproduire des comportements que je ne connais que trop bien. jusqu’à ma propre petite soeur. mon coeur et mes deux poings se sont serrés en la voyant ce jour-là. nous n’avions donc pas été capable de lui transmettre autre chose. et si nous échouons ainsi à ce que nos propres soeurs voient la nourriture comme simple besoin et pure plaisir, qu’en sera-t-il de nos filles ? et de leurs filles après elles ? fermer mes yeux sur ce sujet m’est devenu impossible.

 
 
 

les TCA — troubles du comportement alimentaire — touchent près d’un quart des françaises. plus insidieuse encore peut-être,  parce que gardée sous silence, l’anxiété alimentaire, le simple fait de ne pas avoir avec la nourriture une relation apaisée, en touche près de la moitié. chez les 16-24 ans, c’est 61%.

dans Mangeuses, Lauren Malka explique comment nous en sommes collectivement arrivé.e.s là et à quel point les images ont leur part de responsabilité. dans l’imagerie collective, les femmes sont en cuisine ou au service, mais pas à table pour manger. pour mieux servir les plaisirs des hommes, elles apprennent à réfréner les leurs. pour rester appétissantes, elles ne mangent pas.

 
 
 
 

les rares fois où on les voit manger, elles se satisfont d’une feuille de salade pour rester ‘féminines’. ou se transforment en objet sexuel devant un plat de spaghettis. dans un cas comme dans l’autre, elles mangent pour le plaisir de celui qui les regarde. pas pour leur propre plaisir.

en tant que photographe, femme, grande soeur, mère peut-être un jour, je veux faire des images de femmes qui mangent pour leur propre plaisir.

c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de mettre sur pellicule toutes les images qui me sont venues à la lecture du livre de Lauren. LES FEMMES ONT FAIM, est une libre adaptation de ses Mangeuses, que j’aurai le plaisir d’exposer à la galerie 78 temple du 21 au 23 mars 2025.  

pour que nos filles puissent un jour manger leur pain en paix. et ne se soucier que de dévorer leurs rêves.